LETTRE OUVERTE AU PRESIDENT TCHADIEN (par Jean Bosco MANGA)


N’Djaména le 09 Juin 2013

 

A

Son Excellence,

Monsieur le Président de la République,

Chef de l’Etat

IDRISS DEBY ITNO

BP 74, N’Djaména-Tchad


 

Objet : Libération des Journalistes Eric TOPONA

et MOUSSAYE Avenir DE LA TCHIRE

 

Monsieur le Président,

Si l’audace de vous écrire s’est concrétisée aujourd’hui, cela n’a pas été du tout aisé, c’est le résultat d’une lutte âpre entre moi et ma conscience d’une part et la pression du « qu’en dira-t-on », de la société d’autre part. Ecrire au Président de la République, c’est vraiment oser, c’est risquer, c’est mettre sa vie en danger ou à la limite ce serait une plaisanterie de mauvais goût. Tous les ingrédients sont réunis pour que je renonce à cette entreprise périlleuse à l’allure du suicide. Je devais m’attendre à tout, à une réplique à la hauteur du risque pris, peut-être de votre part mais aussi et surtout de celle disproportionnée de
vos collaborateurs, proches ou lointains qui sont parfois rompus dans l’art de faire des interprétations erronées de tout geste citoyen ou toute voix discordante. Vous pouvez m’ignorer et ignorer même le contenu de ce courrier mais toujours est-il que j’aurai libéré ma conscience d’un pesant fardeau : se taire devant une injustice criarde.

Ma conviction est celle là : Président de la République, vous êtes à ce titre le père de la Nation, donc le Président de tous les tchadiens, mon Président et mon père aussi, pourquoi pas. Celles ou ceux qui ont le privilège d’être plus proches de vous ne sont pas plus privilégiés que moi. Il n’y a pas de super-tchadiens et les privilèges de quelque nature que ce soit dont bénéficient ceux-ci ne leur accorde aucun statut particulier. Nous sommes tous tchadiens. Et le seul moyen qui me permettra de vous parler en tant que Fils du Tchad sur les problèmes de notre patrie commune, c’est de vous écrire car vous rencontrer pour en discuter avec vous relève de l’inimaginable, c’est un rêve lointain. Avec cet écrit, je suis au moins sûr qu’il vous parviendra un jour malgré les embuches. Avec ce risque que je prends aujourd’hui, j’insisterai et persisterai sur cette lancée en prenant le loisir de vous faire part des situations qui me préoccupent concernant le pays, si votre colère et celle de votre entourage ne m’emporte pas.

Monsieur le Président,

Je ne comprends pas si c’est une logique politique, mais tout porte à croire que certaines personnalités proches de vous n’excellent que dans l’art de « troubler l’eau pour mieux pêcher » et n’hésitent pas un seul instant à vous induire dans des erreurs parfois graves comme si les oreilles d’un Président de la République sont réfractaires à la vérité. S’il y a quelques rares qui orientent mieux dans la direction de la chère patrie, d’autres ne vous rendent pas grand service, suis-je tenté de le croire. D’autres encore, plus nombreux malheureusement, usent et abusent de leurs positions auprès de vous et au sein des institutions de l’Etat pour nuire à leurs compatriotes, pour régler des comptes personnels ou politiques. Après tout,  ce ne sont pas ceux qui se livrent à ces pratiques peu orthodoxes et tortueuses qui ternissent leurs images mais ce sont les institutions de l’Etat qui prennent le coup et partant votre image en tant que premier citoyen de ce pays qui est écorné.

Je ne saurai m’attarder sur ces agissements de basse cour, mais je vous écris ces lignes sur une préoccupation légitime qui est celle des deux journalistes arrêtés, à tort ou à raison, à savoir Eric TOPONA, Journaliste à l’Office National de radiodiffusion et Télévision du Tchad (ONRTV) et Secrétaire Général de l’Union des Journalistes du Tchad (UJT), d’une part et MOUSSAYE Avenir de la Tchiré d’autre part. Car franchement, notre pays gagnera en crédibilité en libérant ces deux compatriotes puisque les infractions de droit commun à eux reprochées sont montées de toutes pièces et ne tiennent pas au regard des arguments de droit que je développerai dans les lignes qui suivent. Vous comprendrez qu’ils sont arrêtés et détenus illégalement et arbitrairement. Le risque qu’ils soient des prisonniers d’opinion ou des proies des personnalités bien connues tapies dans l’ombre qui veulent leur régler des comptes est évident puisqu’à l’heure actuelle, je suis tenté de dire qu’aucune loi ne leur est applicable, à moins que ce soit une « masturbation juridique » ou une parodie procédurale pour les matraquer psychologiquement.

Pourquoi je demande que Eric TOPONA et MOUSSAYE Avenir DE LA TCHIRE soient libérés ?

D’abord pour le cas Eric TOPONA, on lui reprocherait « l’attentat à l’ordre constitutionnel », fait prévu et puni par l’Article 81 du Code Pénal, pour, semble-t-il, avoir échangé des courriels avec le blogueur Makaïla dans l’optique de fournir des armes à la jeunesse tchadienne pour « renverser les institutions de l’Etat » (sic). Au début, il serait convoqué pour être auditionné comme témoin dans une affaire de diffamation concernant Jean Laoukolé, jeune blogueur poursuivi pour diffamation, il sera finalement inculpé et mis sous mandat de dépôt pour une autre infraction. Cependant, la question qui se pose est celle de l’élément matériel de l’infraction (courriels incriminés) qui, à mon avis, est inexistant en raison de son caractère illicite.

La filature du citoyen dans sa vie privée est, dans tous les cas, un moyen de preuve illicite. Les données personnelles d’un individu sont protégées par des lois nationales et des conventions internationales, et seule une décision de justice pouvait ordonner leur production comme moyen de preuve. La filature implique nécessairement une atteinte à la vie privée, insusceptible de se justifier au regard de son caractère nécessairement disproportionné. 

A l’ère des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC), la question d’accès aux fichiers informatiques d’un citoyen, par une autorité soit-elle, se pose. Dans quels cas,  une autorité, quelles que soient les raisons, peut-elle avoir accès aux fichiers personnels d’un citoyen lambda ? Même s’il s’avère vrai que les échanges des courriels entre Eric et Makaïla ont eu lieu, quelles circonstances exceptionnelles pouvaient justifier l’interception de leurs communications électroniques privées ? Et pourquoi pas les miens, les vôtres Monsieur le Président et ceux d’un Ministre, d’un citoyen lambda ? Pourquoi cette chasse (aux sorciers) ciblée ? N’y a-t-il pas une intention inavouée de nuire à ce compatriote ? Etant donné que les libertés fondamentales sont des droits reconnus à chaque citoyen par la Loi Fondamentale (Constitution) et les instruments juridiques internationaux, le mode de preuve est illicite toutes les fois qu’il porte atteinte auxdits droits. Chaque citoyen a droit à l’intimité de sa vie privée et au secret de ses correspondances. Aucune autorité ne peut, sous réserve d’une mesure d’instruction judiciaire, prendre connaissance des courriers envoyés ou reçus sans violer cette liberté fondamentale. Le juge doit écarter de telle preuve puisque illicite et Eric TOPONA doit alléguer qu’il s’agit d’un vol puisque lesdits documents sont soustraits frauduleusement par celui qui les a utilisés illicitement pour ester en justice.

Monsieur le Président,

En l’état actuel de la législation, il apparait sans conteste que la portée de la preuve électronique ne doit plus être exagérée car un commencement de la preuve n’est pas la reine des preuves, elle n’est pas une preuve parfaite et n’équivaut pas complètement à la preuve littérale constituée par un original signé manuscritement. Il faut donc, en amont, combler ce vide de notre législation, par l’introduction d’un régime propre à la preuve électronique. Il est donc nécessaire d’appréhender les aspects techniques du débat sur la preuve de cette technologie de l’immatériel. Il n’existe rien de plus matériellement pesant que d’établir la preuve d’un écrit électronique.

La première difficulté tient à l’authentification de l’auteur de l’écrit. En second lieu, il faut noter la difficulté concernant la fiabilité  des données composant la teneur d’un écrit électronique, sujet dont les aspects techniques sont ardus.

Il sied donc de dire qu’il subsiste de sérieux doutes qui planent sur la fiabilité de ces Emails attribués à Eric, sans doute à tort et à travers et partant sa licéité dans cette procédure. Ce qui rend inexistant l’élément matériel de l’infraction. La poursuite basée sur une preuve illicite et douteuse ne peut aboutir qu’à une condamnation injuste si tel est l’objectif à atteindre, à tout prix. Notre pays gagnera en crédibilité en libérant purement et simplement Eric TOPONA, mis sous mandat de dépôt depuis le 06 Mai 2013.

En ce qui concerne le cas MOUSSAYE Avenir DE LA TCHIRE, Directeur de Publication du Journal ABBA GARDE, inculpé le 09 Mai 2013 du chef de « diffamation de nature à inciter à la haine », à la suite de la publication d’un article paru dans le Numéro 34 du 30     Avril au 10 Mai 2013 de son journal, intitulé « C’en est de trop », il s’est avéré que la rage et l’obsession maladive de vouloir vaille que vaille étouffer une voix qui dérange, par justice interposée, le Ministère Public a commis des irrégularités flagrantes d’ordre publique, dans l’enclenchement de la poursuite. On note entre autres, l’omission  de l’indication dans le réquisitoire introductif d’instance des dispositions légales sur les bases desquelles le Procureur de la République a engagé les poursuites. Or,  aux termes de l’Article 70 de la Loi N°17/PR/2010 portant régime de le presse au Tchad : « Si le Ministère Public requiert une information, il sera tenu dans son réquisitoire, d’articuler ou de qualifier les provocations, outrages, diffamations et injures en raison desquelles la poursuite est intentée, avec indication des textes dont l’application est demandée, à peine de nullité du réquisitoire de ladite poursuite », l’omission d’indiquer lesdits textes entraine donc la nullité du réquisitoire. Le Juge d’Instruction n’est donc pas du tout saisi ou est mal saisi en l’espèce. Etant donné qu’en vertu de l’Article 232 du Code de Procédure Pénale tchadien, le Juge d’Instruction ne peut informer que sur réquisitoire du Procureur de la République, alors que la nullité dudit réquisitoire constitue une irrégularité de la saisine du magistrat instructeur. La seule issue honorable de sortie, à l’heure actuelle, est la mise en liberté d’office du Directeur de Publication de ABBA GARDE MOUSSAYE Avenir DE LA TCHIRE quitte à « guetter » une autre occasion pour le clouer au pilori.

Même le fond du dossier est creux et à la limite fantaisiste, puisqu’aux termes de l’Article 51 de la loi 17 : « La diffamation s’entend toute imputation d’un fait précis qui est de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne ou d’un corps constitué ». En d’autres termes, même si le Ministère Publique estime opportun de déclencher l’action publique, il n’en demeure pas moins que jusqu’alors on ignore l’identité de la partie civile (une personne ou un corps constitué). Et d’ailleurs, il n’est un secret pour personne qu’assurer la sécurité de chaque citoyen est une prérogative régalienne et exclusive de l’Etat. Les failles relevées dans le domaine de la sécurité des biens et des personnes ne peuvent être qu’être exclusivement imputables à ce dernier. Les assassinats crapuleux dans ce pays n’ont pas choisis des régions moins encore de points cardinaux et le fait de se plaindre de ces faits lorsqu’on sait que le peu des élites que nous avons disparaissent de façon atroce et parfois ambigüe doit interpeller toute conscience. Si telle doit être la définition de la diffamation, elle semble n’exister, en l’espèce, que dans l’imagination fertile du Ministère Public. Pourtant, dans ce pays, on se sent mieux soulagé dans nos souffrances et les injustices de tous poils subies que lorsqu’il existe des personnes  qui veillent et les dénoncent, notamment la presse. L’assassinat trouble l’ordre public, mais en quoi sa dénonciation peut-elle troubler ou en faire autant ? Si les raisons de l’arrestation de MOUSSAYE Avenir DE LA TCHIRE sont celles là, l’infraction ne tient pas du tout et sa libération d’office s’avère plus que nécessaire, ne serait-ce que pour sauver la face de notre justice.

Aussi, si on s’obstine à vous cacher la vérité, je vous fais savoir ceci : si j’ai mis les deux (2) cas ensemble, c’est que les similitudes crèvent les yeux et doivent attirer votre attention puisque les deux (2) journalistes arrêtés avaient servi dans un même journal de la place et ne se seraient pas séparés de la bonne manière avec l’actionnaire principal dudit journal, qui de surcroit est l’actuel Ministre de la Justice.   Et dans un passé récent, ils ont fait l’objet de diverses manœuvres de harcèlement et d’intimidation, ainsi que des menaces imputables à différentes personnalités occupant de hautes fonctions actuellement. Le droit à un procès équitable reste douteux pour eux si vous n’interveniez pour les faire libérer purement et simplement. Arrêter ou persécuter un journaliste pour des motifs aussi fallacieux ne peuvent aucunement lui nuire mais contribuent au contraire à ternir l’image du pays qui serait toujours considéré comme un prédateur des libertés. Cela annihile vos multiples efforts et sacrifices depuis plus de deux décennies. C’est un recul grave dans notre processus démocratique.   

Vous en souhaitant bonne réception, Monsieur le Président, je vous prie de croire, en l’expression de mes sentiments dévoués.

Votre compatriote,

 

M. MANGA Jean Bosco

Juriste, Journaliste et Ecrivain

Coordonnateur du Mouvement Citoyen pour la

Préservation des Libertés (MCPL)

BP 4296 N’Djaména-Tchad



 

 

 

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