BREF APERCU SUR LA SITUATION ACTUELLE AU TCHAD (par SALEH KEBZABO)
SALEH KEBZABO |
Depuis
le 1er mai 2013 dans la soirée, des arrestations à caractère
politique sont effectuées au Tchad, aussi bien dans les milieux de la majorité
que de l’opposition, ainsi que dans la société civile.
Sur
les faits eux-mêmes, le Gouvernement a d’abord annoncé avoir éventé une
tentative de putch, puis il a reculé en évoquant une tentative de
déstabilisation du système en place. Le cerveau de l’affaire, un certain Moussa
Tao Mahamat, est un ancien rebelle rallié depuis quelques années au pouvoir de
N’Djaména. Il a rédigé et tenté de
diffuser un long communiqué appelant à un soulèvement populaire. La police
aurait saisi chez lui une liste d’une vingtaine de personnalités appelées à
jouer un rôle avec lui en cas de prise de pouvoir. Tout est parti de là. Or, le
gouvernement affirme suivre l’affaire depuis quatre mois : s’agit-il d’une
manipulation ?
Dans
la soirée du 1er mai, donc, deux députés ont été arrêtés par la
police à leur domicile et emprisonnés : Saleh Makki, Président du parti
PUR, membre de la Coordination de l’opposition CPDC, et Mahamat Kadre, membre du MPS, parti au pouvoir. Ces
arrestations ont été opérées en toute
illégalité, puisque l’arrestation d’un député est soumise à des conditions prévues
par la Constitution. Le Gouvernement a écrit le 6 mai 2013 au Président de
l’Assemblée Nationale, juste pour l’informer de l’arrestation des députés en «flagrant
délit » dans le cadre d’une affaire de « déstabilisation de la
République par un groupuscule d’individus. ». Où est donc le flagrant délit
invoqué, les députés ayant été enlevés
par la police, nuitamment, à leur domicile?
Le
ministre de la Justice a adressé une seconde lettre le 7 mai à l’Assemblée
Nationale pour lui demander l’autorisation d’auditionner quatre députés dans le
cadre de la même affaire. Il s’agit de : Saleh Kebzabo, Président du
Groupe parlementaire et Président de l’UNDR, Porte-parole-adjoint de la CPDC et
Chef de File de l’opposition, député au Parlement Panafricain depuis 2007, qui
a quitté N’Djaména pour une session dudit parlement du 6 au 17 mai à
Johannesburg; Gali Ngothé Gatta, secrétaire général de l’UFD/PR, membre de la
CPDC ; Yorongar Ngarléjy, chef du
parti FAR, et Routouang Yoma Golom, député du MPS.
Tout
en marquant son accord, le Président de l’Assemblé a fait remarquer que dans le
même temps où il recevait cette lettre, les députés ont soit reçu des visites
de la police à leur domicile, soit reçu des convocations. Il a insisté sur le
respect de la procédure qui impose une levée de l’immunité parlementaire en cas
de délit avéré, avant toute mise aux arrêts.
Or,
après leur audition, deux députés ont été mis en état d’arrestation ( Gali et
Routouang), tandis que Yorongar, bénéficiant du statut de témoin (sic), a été
libéré. Au total, 4 députés sont
illégalement détenus, en attendant le cinquième, Saleh Kebzabo, dès qu’il va
rentrer.
Sur
le fond de l’affaire, aucun des protagonistes ou présumé comploteur ne
reconnait avoir de relation de quelque nature et à quelque niveau que ce soit
avec Moussa Tao Mahamat qui l’a aussi confirmé devant le Procureur. Il aurait
même dit que c’est sous pression et brutalités qu’il a écrit la liste qui lui a
été suggérée…
S’adressant
aux partis politiques le 8 mai, le Président Déby a récusé la qualification de
coup d’état ou de putch, car dans cette affaire il n’y a ni arme ni militaire.
Pour lui, il s’agit d’une « conspiration » à laquelle ont trempé des
hommes politiques, et la justice « doit s’exercer dans toute sa
rigueur ». Il s’en est également pris à l’opposition qui vilipende son
régime, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, en Europe notamment.
Tels
sont les faits, connus, avant tout commentaire. Je voudrais encore réaffirmer
que je ne connais nullement, ni de près, ni de loin Moussa Tao Mahamat dont
c’est la première fois que j’entends d’ailleurs le nom. Je ne me sens donc pas
concerné par cette sordide histoire et je n’ai jamais participé à aucune
conspiration depuis 23 ans que je me bats, dans la transparence, contre le
régime MPS.
Pour
comprendre les en-dessous de cette
histoire qui n’est qu’un alibi, il faut sérier les faits dans trois
directions :
1-
Moussa Tao Mahamat aurait peut être tenu des propos contre le régime, mais il
dit l’avoir fait parce que depuis son ralliement, le régime ne fait pas cas de
lui et il est tombé dans l’oubli, avec les conséquences sociales que cela peut
entrainer. On doit donc comprendre son geste comme celui d’un naufragé qui
tente de rappeler le Président à son bon souvenir. Il n’a en tout cas eu aucune
passerelle avec aucun homme politique. En tout cas pas avec ceux que l’on tente
d’impliquer dans cette affaire actuellement. L’opinion sera d’ailleurs surprise
quand elle saura que chacun d’eux a un chef d’accusation différent…
2-
Force est de constater que Président Déby a saisi cette opportunité pour régler
tous ses comptes, en frappant dans le tas, et en désordre. La cible privilégiée est l’opposition qu’il ne
supporte plus ces dernières semaines. Son souci majeur est la préparation des
élections qui vont se succéder les trois prochaines années, les locales en
2014, les législatives en 2015 et les présidentielles en 2016. Le gros
contentieux reste l’avenir de l’Accord politique de 2007 avec la mise en place
d’un nouveau cadre de dialogue qu’il a concocté, imposé et installé en deux
réunions, le 11 mars et le 2 avril 2012. L’opposition, et singulièrement la
CPDC qui avait entièrement négocié l’Accord de 2007, a boycotté les deux
réunions et a gardé la même position à la suite d’une rencontre spécifique avec
le Président le 24 avril. Le Président Dèby tient beaucoup à son accord dont il
contrôle entièrement les membres, jusqu’à en corriger le projet de règlement
intérieur ! C’est un accord vide qui ne résoudra aucun problème et ne sert
que de faire-valoir au Président qui en a d’ailleurs exclu les partenaires
extérieurs du Tchad dont la présence serait gênante.
Or,
la CPDC le suspecte, non sans raison, de mettre en place les ingrédients de
fraude des prochaines élections, surtout qu’il se proclame enfin partisan du
recensement électoral biométrique qu’il avait récusé en 2010. Cette option le
rend encore plus suspect. Car, faut-il le rappeler, depuis l’année dernière,
l’Etat s’est dessaisi et privatisé des domaines aussi régaliens que la confection
de la carte nationale d’identité, le passeport, la carte de séjour et le permis
de conduire. En attendant d’en faire la démonstration, l’opposition estime que
le contrôle de ces domaines par une société privée, qui plus est très proche du
Chef de l’Etat, ne peut pas ne pas avoir de lien avec les élections et le
recensement en préparation.
Le
Président Déby qui exerce un pouvoir personnel de plus en plus implacable ne
souffre plus aucune contestation. L’occasion lui est donc offerte, même si elle
est grossière, de décapiter l’opposition, y compris son chef de file. De cette
façon, elle cessera d’exister et ne pourra pas se présenter aux élections
futures, puisque ses leaders auront été condamnés par la justice.
3-
Toute cette machination sert à jeter le
trouble sur l’intervention au Mali qu’il a concoctée seul et dont les fruits
escomptés sont plutôt maigres. En envoyant des troupes à près de cent pour cent
originaires de sa région, il a plutôt récolté l’ire de ses parents dès la
première déconvenue qui a coûté la vie à 27 soldats. Au plan financier, c’est
un désastre, de l’aveu du Premier ministre, de plus de 57 milliards de francs.
Sans compter les matériels déplacés dont plus de la moitié est hors de service.
Le rôle qu’il voulait jouer n’a pas été atteint et c’est ce qui explique le
rapatriement partiel des soldats du Mali. Enfin, last but not least, la
virginité politique recherchée via le Mali est loin d’avoir été atteinte, et
cette affaire vient rappeler à l’opinion, surtout extérieure, la vraie nature
du régime tchadien.
La
situation des députés ne doit pas occulter celle de deux généraux et d’autres
citoyens dont on parle peu. Il est important de rappeler aussi qu’un jeune
écrivain et amateur de blog, Jean Laokolé, croupit illégalement en prison
depuis plus de deux mois et que deux journalistes ont été arrêtés : Eric
Topona, secrétaire général de l’Union des Journalistes Tchadiens, et Avenir De
La Tchiré, directeur de publication du périodique Abba Garde. Il faut enfin ajouter à « l’actif » du gouvernement la prouesse d’avoir réussi à
faire expulser du Sénégal vers la Guinée, Makaila Nguebla, l’animateur du Blog de
MAKAILA réputé pour ses positions tranchées sur le régime.
En
conclusion, je réaffirme ma disposition à rentrer au Tchad dès la fin de la session
du PAP, puisque je n’ai rien à me reprocher. Je dois rentrer chez moi, car je
n’ai la vocation, ni d’entrer en rébellion, ni de vivre en exil. Le combat que
nous menons doit se poursuivre à l’intérieur du Tchad pour que cesse cette dictature
rampante aux allures de parti-Etat qu’affectionne le Président Idriss Déby
Itno. Cette lutte, l’opposition doit la poursuivre absolument, en ignorant les
intimidations, les menaces en tous genres, les mensonges et montages grossiers et
le terrorisme d’Etat qui sont les caractéristiques courantes d’un régime
intolérant aux abois. L’opposition, plus cohérente et soudée, doit continuer de
dénoncer inlassablement : la confiscation du pouvoir par une minorité qui
a pris tout un peuple en otage, le pillage à ciel ouvert des ressources du
pays, la prédation, la gestion patrimoniale de plus en plus accentuée, la
gouvernance calamiteuse dans tous les domaines et le refus obstiné de la
démocratie. Seul le peuple aura le
dernier mot, car : La vérité finit toujours par triompher !
Saleh Kebzabo, Député,
Pt du Groupe Parlementaire UNDR
Chef de File de l’Opposition, Pte Parole
Adjt CPDC
Député au PAP
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