LETTRE OUVERTE AU PROCUREUR GENERAL TCHAD / Jean Bosco MANGA
Lettre
ouverte au Procureur Général près la Cour d’Appel de N’Djaména
N’Djaména, 30
Juin 2013
A
Monsieur le Procureur
Général
Près la Cour d’Appel de
N’Djaména
Tchad
Objet :
Détention préventive irrégulière et
abusive de
MOUSSAYE Avenir DE LA TCHIRE
Monsieur
le Procureur Général,
Vous
conviendrez avec moi que parfois l’audace d’espérer est si rebelle, si évidente
et si têtue qu’on continue à y croire. Aucune extravagance des sceptiques ne
pourra
aucunement l’ébranler. Mon Espoir en or est celui là : une justice effectivement indépendante et équitable, débarrassée de toutes velléités injustes et arbitraires est possible. Nous autres tchado-optimistes y croyons encore. Des hommes imbus d’intégrité, de fermeté et d’une personnalité forte, cessant d’être de simples personnages au gré de l’humeur du temps, des circonstances et de la volonté de ceux qui les ont fait rois, je suis tenté de croire qu’il en existe encore. Quel vœu pieux ! Heureusement que cet « Espoir qui fait survivre » quotidiennement est la denrée la mieux partagée dans cette partie du monde où l’évidence même s’évanouit et parfois se meurt désespérément au cachot du désespoir.
aucunement l’ébranler. Mon Espoir en or est celui là : une justice effectivement indépendante et équitable, débarrassée de toutes velléités injustes et arbitraires est possible. Nous autres tchado-optimistes y croyons encore. Des hommes imbus d’intégrité, de fermeté et d’une personnalité forte, cessant d’être de simples personnages au gré de l’humeur du temps, des circonstances et de la volonté de ceux qui les ont fait rois, je suis tenté de croire qu’il en existe encore. Quel vœu pieux ! Heureusement que cet « Espoir qui fait survivre » quotidiennement est la denrée la mieux partagée dans cette partie du monde où l’évidence même s’évanouit et parfois se meurt désespérément au cachot du désespoir.
En
décidant de briser l’omerta pour vous
écrire, je me suis légitimement approprié les pertinentes dispositions de l’Article 246 du Code de Procédure Pénale qui indiquent que : « Toute
personne ayant connaissance d’une détention préventive irrégulière ou abusive
peut s’adresser au Procureur Général ou au Président de la Chambre d’Accusation
à l’effet de la faire cesser ». La décision singulière et inattendue
de rejet de la requête des Avocats du Directeur de Publication de Abba Garde,
MOUSSAYE Avenir DE LA TCHIRE aux fins de sa mise en liberté par la Chambre
d’Accusation, m’oblige, moi, à m’adresser cette fois-ci à vous Monsieur le
Procureur Général pour que le droit soit dit, rien que le droit et tout le
droit.
L’étincelle
d’espoir qui subsistait dans notre subconscient de voir notre chère justice
embellir, ne serait-ce que sa face, par une décision audacieuse de la Chambre
d’Accusation tendant à mettre fin à la « détention préventive irrégulière et abusive » de MOUSSAYE
Avenir DE LA TCHIRE s’est désespérément volatilisée ce jeudi 27 Juin 2013
lorsque le verdict tomba net sur notre tête comme un tranchoir. Pourtant
« (…) La chambre d’accusation peut, dans tous les cas, prononcer d’office
la mise en liberté d’un inculpé préventivement détenu » (Article
246 du Code de Procédure Pénale). Sous réserve d’une motivation extraordinaire
de la juridiction d’instruction du
second degré de céans, suis-je tenté de croire que cette décision est, à mon
humble avis, illégale, adossée pitoyablement sur une béquille de pure
arbitraire, un vocable que je pèse. Je me dois de vous faire un modeste décryptage,
sans parti pris, sans diffamer non plus mais au regard du bon droit et de notre
législation commune, celle que vous veillez à son strict respect. Et vous
comprendrez aisément mon acrimonie qui est celle de tout citoyen épris de
justice, d’une justice équitable où ne pèserait que le poids de la Loi et ne
prélaverait que l’intime conviction du juge.
En
effet, aux termes de l’Article 241 alinéa
1 du Code de Procédure Pénale :
« La détention préventive est une mesure qui tend à assurer la représentation en justice d’un inculpé ou à prévenir une
activité de nature à nuire à la manifestation de la vérité (…) ».
L’alinéa 3 de cette disposition précitée précise cependant que : « (…) En
matière correctionnelle, lorsque le maximum de la peine prévue par la loi est inférieure
à deux (02) ans d’emprisonnement, l’inculpé domicilié au Tchad ne peut être
détenu plus de quinze (15) jours, après sa première comparution devant le juge
d’instruction s’il n’a pas été condamné soit pour un crime, soit à un
emprisonnement de plus de trois mois sans sursis pour délit de droit commun ».
Or,
une lecture limpide de l’Article 47 de
la loi N°17/PR/10 relative au régime
de la presse au Tchad en ce qui concerne les incitations aux crimes et
délits : « Ceux qui, par l’un des moyens énoncés à
l’article 46 ci-dessus, auront directement incité, soit au vol, soit au
meurtre, à l’assassinat, au pillage et à l’incendie, à la destruction
volontaire d’édifices, magasins, digues, chaussées, véhicules, ponts, voies
publiques ou privées et d’une façon générale, de tous objets mobiliers ou
immobiliers, soit à l’un des crimes ou délits contre la sureté extérieure ou
intérieure de l’Etat, seront punis, dans le cas où cette provocation n’aurait
pas été suivie d’effet, d’un d’emprisonnement allant de six (06) mois à un
(01) an ou d’une amende de 100 000 à 1 000 000 FCFA ou d’une
suspension de parution d’une durée de six (06) mois ». Quant à « (…) La
publication directe et par voie de reproduction de cette allégation ou de cette
imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si
elle vise une personne ou un corps non expressément nommé, mais dont
l’identification est rendue possible par les termes des discours, par les
images, par écrits ou imprimés, par les photographies ou les affiches
incriminées », prévue à l’Article
51 alinéa 2 de la loi N°17/PR/10
relative au régime de la presse au Tchad, la peine prévue par l’Article 52 de
ladite loi est une suspension de parution
d’une durée n’excédant pas trois (03) mois sans réparation des préjudices
civiles, lorsque ladite diffamation est commise envers les cours, les
tribunaux, les forces armées, les forces de sécurité intérieure, les corps
constitués et les administrations publiques. Il en est de même lorsque la
diffamation est commise envers toutes personnes à raison de sa fonction ou de
sa qualité (Article 53 de loi N°17/PR/10 relative au régime de
la presse au Tchad).
Monsieur
le Procureur Général,
De
ce qui précède, tout compte fait, le fait reproché au Directeur de Publication
de Abba Garde ne peut être punissable que d’une peine privative de liberté
allant de six (06) mois à un (01) an, donc moins de deux (02) ans. En d’autres
termes, si l’on s’en tient strictement et légitimement aux dispositions légales
en vigueur, et pour une infraction n’excédant pas deux (02) ans
d’emprisonnement comme en l’espèce, la
détention préventive ne peut être plus de quinze (15) jours comme prévue à
l’Article 241 alinéa 3 du Code de Procédure Pénale. Or, pour le
cas précis, Monsieur MOUSSAYE Avenir DE LA TCHIRE, kidnappé par le service des
Renseignements Généraux le 07 Mai 2013 et placé sous mandat de dépôt depuis le
09 Mai 2013, après être inculpé formellement du chef de « diffamation de nature à inciter à la haine »,
il entame à ce jour irrégulièrement et abusivement son 3ème mois de
détention préventive au lieu de quinze (15) jours légalement prévu. Pourtant,
au regard de l’article 241 alinéa 3 du Code de Procédure Pénale susvisée,
l’inculpé justifie bel et bien d’un domicile au Tchad et de surcroit au siège
de l’instruction, et il ressort du Procès-verbal d’enquête préliminaire établi
par la Police Judiciaire que Monsieur MOUSSAYE Avenir DE LA TCHIRE n’a jamais fait l’objet d’aucune condamnation
antérieure.
Alors,
sans préjuger de la décision au fond à intervenir, qu’est-ce qui pourrait
encore justifier la détention préventive de Monsieur MOUSSAYE Avenir DE LA
TCHIRE ? Ces irrégularités et abus ne justifiaient-ils pas suffisamment,
ne serait-ce que sa mise en liberté provisoire, par la Chambre
d’accusation? Sommes-nous tentés de croire qu’il a finalement cessé d’être un
justiciable de droit commun mais devient sans conteste un détenu d’opinion et
qu’aucune loi de la République ne lui est applicable ?
Au
diable donc les beaux et pertinents textes de notre République ! Comme le
dirait un observateur « Notre
société ne tourne pas au carburant super, elle marche à l’eau de mare ».
Que nous reste-t-il, nous paisibles citoyens, lorsque le pouvoir judiciaire,
gardien des libertés et protecteur des droits fondamentaux (Article 143 alinéa
3 de la Constitution tchadienne) voue allégrement aux gémonies les citoyens sans
défense et qui ne croient qu’à leur innocence et au droit ? La justice
serait-elle devenue un rempart des « Puissants » et un rouleau
compresseur aux mains des prédateurs de tous poils pour écraser les faibles et
tous ceux qui osent user de leur liberté d’opinion et d’expression à eux
reconnus par les instruments juridiques internes et internationaux ?
Est-il
raisonnable que l’on puisse confondre impunément les hommes et leurs humeurs,
qui sont, à la limite, précaires et passagères aux institutions et aux lois de
la République qui, elles, sont pérennes et impersonnelles ? Au point où
nous sommes parvenus, il est absolument hors de question de laisser fonctionner
l’appareil judiciaire sur des précédents fâcheux. L’âme sensible ne peut
accepter que l’injustice soit poussée jusqu’au zénith. Pour notre part, la
résistance sera pacifique mais farouche, avec notre unique moyen de bord :
la dénonciation systématique quand l’arbitraire franchit le seuil du Rubicon. Comme
le dirait quelqu’un, au passage, conformons-nous au moins à l’apparence
des exigences du temps pour, ne serait-ce que revendiquer la place qui est la
nôtre au soleil.
En
attendant une suite que vous accorderiez à ce courrier, je vous prie de croire,
Monsieur le Procureur Général, l’expression de mes considérations distinguées.
M. MANGA Jean-Bosco
Juriste, Journaliste et
Ecrivain
Coordonnateur du
Mouvement Citoyen pour la
Préservation des
Libertés (MCPL),
BP 4296 N’Djamena
Tchad,
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